Tsui
Hark est un très grand réalisateur, je pense qu'il n'est
plus besoin de le démontrer après des films tels que
"Il était une fois en Chine", "Zu : les guerriers
de la montagne magique" ou même "Time & Tide".
C'est alors en toute confiance que je me suis procuré ce "Peking
opera blues" (qui, il faut dire était précédé
d'une réputation très flatteuse). Ce film, réalisé
en 1986 est ce qu'on pourrait qualifier d'un parfait melting-pot des
genres. Très difficile à catégoriser, on pourrait
le qualifier de film fourre tout. Le mélange des styles est
donc ici à l'honneur puisque sous fond d'intrigue politique,
Tsui Hark signe une "comédie sérieuse" avec
des gunfight, du kung-fu et des quiproquos en pagaille. Un mélange
assez peu courant, et là ou beaucoup de réalisateurs
se sont emmélés pour donner un film bancal, Tsui Hark
réalise une oeuvre très homogène où l'on
passe du rire aux larmes sans aucunes difficultés. Toute la
force du film réside donc dans ce mélange où
les scènes s'enchaînent à un rythme effréné
sans jamais faire perdre le film au spectateur.

L'histoire nous emmène en 1913 et nous propose de suivre
le destin de 3 femmes : Cheung Hung, Pat Neil et Tsao Wan, l'une
survit en menant une vie de chanteuse-voleuse, une autre, fille
du propriétaire d'un opéra rêve de monter sur
scène (le milieu de la scène étant traditionnellement
réservé à la gent masculine) et enfin la dernière,
fille d'un important général, se bat pour la révolution,
quitte à trahir son propre père. Le destin les fera
donc se rencontrer et une amitié très forte naîtra
peu à peu. Le scénario, dont la trame principale est
la récupération d'importants documents détenus
par le père de Tsao Wan, nous emmène cependant dans
de multiples directions, enchaînant les rebondissement avec
brio.

Fait assez rare pour être précisé, ce sont
des femmes qui ont le premier rôle. Des femmes qui se battent
dans un monde d'hommes. Chacun subit son statut (elles représentent
d'ailleurs chacune une des facette de la féminité)
d'une manière différente, mais en se serrant les coudes
elles finissent par prouver leur valeur. Toutefois, pour cela, elles
devront passer par de très dures épreuves et aucune
n'en sortira indemne. A des kilomètres des personnages habituels
du cinéma de Hong-Kong, ces femmes sont très "humaines",
ce qui les rend extrêmement attachantes. A femmes d'exception,
actrices d'exception puisque ce Peking opera blues est emmené
par trois des plus brillantes (et jolies) actrices de Hong Kong,
j'ai nommé Cherie Chung (que l'on retrouvera quelques années
plus tard dans le Once a thief de John Woo), Sally Yeh (la chanteuse
aveugle de The Killer) et Lin Ching-Hsia (l'inoubliable interprète
de Zu). Loin des jeunes filles en détresse hurlant à
l'aide, nos trois héroïnes redoubleront de courage et
d'ingéniosité pour se sortir des situations les plus
inextricables. Elles seront aidées par deux hommes : Ling
(Mark Cheng) et Tung (Cheung Kwok-Keung) n'ayant plus rien a perdre
et prêts à aller jusqu'au bout pour leur pays ( à
moins que ce soit pour les beaux yeux de leurs amies). Ensemble,
unis par une amitié à toute épreuve (et peut-être
plus) nos héros pourront accomplir des miracles.

L'opéra tient une place très importante dans le film,
ça n'est tout de même pas pour rien qu'il se nomme
Peking opera blues. Le père de Pat Neil étant le propriétaire
d'un important opéra (l'ancêtre de cinéma, ce
qui est marquant ici). Il faut préciser que dans l'opéra
chinois, il n'y a pas de femmes, tous les rôles y compris
ceux de femmes sont joués par des hommes. Pat Neil se bat
donc pour prouver qu'elle peut faire des prouesses sur scène.
Et à la manière de Pat Neil, ce Peking Opera blues,
indubitablement un film de femmes, vient bousculer le cinéma
hong-kongais, jusqu'alors très masculin. Tsui Hark chamboule
encore une fois l'ordre établi en faisant une ode à
la féminité dans un monde où les personnages
féminins sont bien souvent relégués au second
plan, servant de faire valoir aux personnages masculins.

Le tout est filmé d'une main de maître par le grand
Tsui Hark, qui signe quelques plans d'une beauté magistrale.
Ce qui impressionne le plus, c'est que ce diable d'homme filme une
oeuvre très sérieuse, voire dramatique, sur le ton
de la comédie, mais qu'à aucun moment l'un prend le
dessus sur l'autre. On assiste tantôt à une scène
hilarante, avec des gags très visuels (jamais trop niais
comme on pourrait le reprocher à certains films de l'ex-colonie)
sans jamais de mauvais goût , tantôt à des scènes
dramatiques, violentes et émouvantes. Le tout s'enchaîne
à la perfection, sans fausses notes, on n'est jamais frappé
par le fait qu'une scène fait défaut au reste et c'est
là tout le génie de Tsui Hark. Pour donner un exemple,
je citerai certain films de Samo Hung, qui, partant comme une pure
comédie, légère et drôle, se voit haché
par des scènes très violentes, pas dans le ton du
film. Ici, quiproquos, gags, fusillades et meurtres font bon ménage,
créant un tout. A signaler que Tsui Hark met en scène
de très belles gunfight, rapides et violentes saupoudrées
de cascades, et dont l'apothéose réside dans la scène
finale, entièrement au ralentit, d'une rare intensité.
Un sans faute. A noter également que les scènes d'action
sont à mettre sur le compte de Ching Siu-Tung, immense chorégraphe
de son état, et qui ne fait ici pas défaut à
sa réputation en créant des combats rapides et puissants,
sans jamais trop en faire, ni trahir le rythme du film.

Pour finir, cette critique n'en serait pas une si je ne vous parlais
pas de la musique. Surtout dans le cas présent, car non content
d'être un des meilleurs films de Hong-Kong, Peking opera blues
se voit gratifier par James Wong d'une des plus belles bande originale.
A l'image du film, celle-ci est tantôt mélancolique,
douce et triste, tantôt légère et entraînante,
avec en prime une magnifique chanson. Inoubliable à bien
des égaurds.
Il n'y a rien a faire, impossible de trouver un défaut à
ce film monumental, si ce n'est qu'il n'est pas sortit en France.
Car Peking opera blues est une perle, un joyau, peut-être
le meilleur film de Tsui Hark (du moins mon préféré)
et qui très illogiquement est moins connu que "Il était
une fois en Chine". Un film à voir, à revoir,
à apprécier comme une oeuvre puissante et intense
ou comme un grand divertissement, un film à apprécier
tout court. Une oeuvre phare du cinéma de Hong-Kong à
ne manquer sous aucun prétexte.
AOSHI
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