
C'est, je pense, avec "A scene at the sea" que Kitano
entre définitivement dans la cour des grands. Après un violent cop
réalisé "à moitié" et un Jugatsu encore expérimental,
voici donc le premier vrai chef d'oeuvre du comique. On peut dire
que c'est un film à part dans la filmographie du maître car c'est
le seul où l'histoire n'a absolument aucun rapport avec les yakuzas.
C'est d'ailleurs un film à part tout court (un peu comme chacun
de ses films il est vrai) de part le traitement du sujet, mais j'aborderai
ceci par la suite, intéressons nous tout d'abord à l'histoire.
Shigeru (interprété par un époustouflant Kurodo Maki, que l'on
reverra par la suite dans "Brother") est un éboueur sourd
muet vivant avec sa petite amie également sourde muette (interprété
par Hiroko Oshima). Il suffit de se plonger dans le regard de Shigeru
pour comprendre la vie profondément monotone et inintéressante qu'il
mène. Un jour pourtant, sa vie va prendre un nouveau tournant. En
effet, dans une poubelle, Shigeru trouve une planche de surf cassée.
Dès lors débute une passion écrasante pour le surf. Ayant réparé
la planche, Shigeru passe son temps sur la plage à surfer.
L'histoire peut être résumée du début à la fin très rapidement,
on peut dire qu'effectivement il ne se passe pas grand chose dans
ce film. Mais suivre ce touchant éboueur dans son parcours initiatique
à travers le monde du surf procure un bonheur intense. J'ai dit
touchant, mais le mot est faible, on s'attache à Shigeru très fortement
au cours du film, ce dernier étant très régulièrement
sujet à des moqueries diverses d'une part, et très naïves
d'autre part. Ce qui va renforcer l'émotion que l'on ressent par
rapport à sa relation avec son amie. Celle ci s'occupe de lui continuellement
comme d'une mère vis à vis de son enfant. Car face à sa passion
du surf, Shigeru est véritablement un enfant découvrant un nouveau
monde, continuellement émerveillé. Et même s'il ne parvient pas
à monter sur sa planche, il n'abandonne jamais et revient chaque
jour au même endroit pour s'entraîner encore et toujours, encore
et toujours. Voilà d'ailleurs un des points les plus marquant de
la réalisation de Kitano sur "a scene at the sea": la
répétition d'une scène. En effet, on revoit continuellement les
mêmes scènes, filmées de la même manière. Shigeru marchant sa planche
à la main vers la plage, son amie pliant ses vêtements - jetés au
sol tellement Shigeru est pressé de surfer - et le regardant surfer
en souriant. Cette répétition de mêmes scènes permet de faire intervenir
le comique dans bien des situations, et c'est bien là qu'on voit
le génie de Kitano, le spectateur s'attendant à une scène précise,
qu'il a vu et revu, se fait surprendre à chaque fois, c'est réellement
jouissif, de grands moments de cinéma. Attention, lorsque je parle
de comique, ce n'est pas le même comique que l'on remarque dans
les autres films de Kitano, ici pas d'humour noir, pas de violence,
uniquement des minis gags qui font plus sourire que rire aux éclats.
On reste entièrement dans l'esprit du film, continuellement ému
par ce couple hors du commun. Kitano nous montre que la parole n'est
qu'accessoire lorsque l'on aime quelqu'un. Même si les deux personnages
principaux sont sourds muets, leur expression de l'amour n'en est
pas moins visible et très intense. Un simple regard, ou même un
sourire peut résumer de longs discours. Je retiendrai cette magnifique
scène ou Shigeru lance sa chaussure à la fenêtre de son ami pour
la faire sortir de chez elle, une beauté touchante. J'irai même
jusqu'à dire que le mutisme des personnages permet de faire passer
plus de sentiments qu'avec la parole. Bien sûr, si l'on décide de
regarder ce film entre pote avec de la bière et des pizzas tout
en se lançant des blagues, on passe à côté de tout ça et on s'ennuit
profondément pendant toute la durée du film. Mis à part ce cas extrême,
il suffit de se laisser envoûter par les expressions des acteurs
combinées avec la musique du film pour atteindre les sommets de
l'émotion. Magique est le terme que j'emploierai pour qualifier
cette musique de Joe Hisaishi. Car voici encore un facteur non négligeable
dans le film : la musique (on peut facilement se rendre compte de
son importance dans un film muet). A scene at the sea marque la
première collaboration entre Kitano et Hisaishi, ce qui apporte
énormément au film, la fusion entre la musique et les images est
un facteur émotif gigantesque. Retirer au film sa musique, c'est
lui amputer la moitié des émotions qu'il dégage.

Revenons aux acteurs, qui même s'ils sont peu nombreux, sont ahurissants.
Je pense bien sûr à Kurodo Maki et Hiroko Oshima qui font des merveilles.
Je rappelle que nous sommes dans un film de Kitano, ce qui signifie
des visages sans expressions (ou presque) mais malgré tout
ça, nos acteurs font remarquablement passer les messages. Kitano
a certainement voulu revenir à l'essence même du cinéma, c'est à
dire un cinéma muet où la gestuelle prend une importance prépondérante.
Un pari gagné! Je dirai que concernant les acteurs, il s'agit d'un
sans faute! Fantastique! Et comme si ça ne suffisait pas, on découvre
ici les futurs acteurs fétiches de Kitano dans des petits rôles,
on découvre ainsi Tetsu Watanabe et Susumu Terajima (yaaaaaaahhhh
gureto ^^).
Je conseille bien entendu à tous de voir ce chef d'oeuvre incontestable!
A noter que Kitano a reçu le prix du meilleur réalisateur au 13ème
festival du film de Yokohama pour "a scene at the sea".
Une oeuvre lyrique, puissante et touchante, triste et magique, envoûtante
et inoubliable par un maître du cinéma. Même si l'on déteste le
surf, impossible de ne pas être touché par la beauté de ce film.
Il suffit d'avoir un coeur pour apprécier, et là tout est dit.
AOSHI 
|