
Zatoichi est le dernier film en date de Takeshi Kitano, ce qui
en soit est déjà un grand événement. Toutefois, ça n'est pas la
première fois que les aventures du masseur aveugle sont adaptées
au cinéma. Il y eu une vingtaine de film au bas mot, ce qui fait
de Zatoichi une véritable institution au Japon. Pratiquement toujours
interprété par Katsu, le masseur revient aujourd'hui dans la peau
de Kitano, et vu la popularité de la série, autant dire que ce dernier
n'avait pas le droit à l'erreur. D'autant plus que le film étant
destiné à un large public (grosse production oblige) Kitano pouvait
enfin se faire reconnaître en tant que grand réalisateur au Japon.
Pression énorme donc, pour un film non moins énorme. Connaissant
Kitano, il ne pourra pas se contenter de faire un blockbuster classique
et il risque bien d'en surprendre plus d'un, moi y compris…encore.
Zatoichi est donc le nom d'un masseur aveugle, maître dans l'art
du sabre et redresseur de torts à ses heures. Dans cet épisode,
car ce film est bien un épisode d'une longue saga, Zatoichi aura
à faire à une horde de yakusas et à un rônin ténébreux aussi talentueux
que peu loquace. En effet, il se prendra d'affection pour deux geishas
ayant une vengeance à accomplir. Voilà, c'est tout ce que je dirai
sur le scénario, et de toute façon, je pense que c'est tout ce qu'il
y a dire. C'est un film de sabre, c'est classique et efficace. Non
ce n'est pas ici que Kitano se démarque des autres films de la saga.
On pourrait s'attendre à un montage complexe à la Hana-Bi, mais
là encore, Kitano reste dans le - presque - classique. C'est dans
la réalisation qu'il prend tout le monde à contre poil, et ça fait
plaisir. Le film est brillamment filmé, ça ne fait aucun doute,
et on retrouve certains tics du réalisateur, les long plans fixes,
les coupures surprises, etc… Mais Kitano, c'est encore et toujours
des personnages, à la fois normaux, humains et déjantés, même Zatoichi,
qui représente tout de même un monument de calme et de sagesse,
y va de son moment de folie. Et là on rentre purement dans le style
propre au réalisateur, qui marie à merveille toute sorte de personnages,
tout en gardant une certaine cohérence dans le film : le gang de
yakusas extrêmement bien organisé, le rônin ténébreux au lourd passé
et à la quête héroique, les joueurs invétérés, mais aussi les geishas
travello ou encore le fou qui veut devenir samourai et qui court
dans tous les sens, arme au poing en poussant des cris de guerre…
Un melting-pot de personnages travaillés et qu'il fallait oser mettre
en scène. Imaginez un travello dans " le seigneur des anneaux "
de Peter Jackson…

Le film possède de nombreuses qualités, techniques et artistiques
: les décors et costumes sont remarquables, la photographie de très
bonne qualité, les combats au sabre (et ils sont nombreux) sont
chorégraphiés avec talent, et très bien interprétés (rappelons que
Zatoichi est aveugle, Kitano devait donc se battre les yeux fermés).
Mais le point qui a le plus retenu mon attention, et qui a mon avis
est le plus réussi dans ce film, c'est l'humour. Alors on commençait
à connaître les tactiques de Kitano concernant l'humour, avec le
montage sec qui surprend, et c'est vrai que ça marche toujours aussi
bien, je dirai même plus ça marche d'autant plus qu'on ne s'attend
pas à voir ce genre d'humour dans un film de ce genre. De même,
l'humour noir si cher au réalisateur est bel est bien présent, et
très bien utilisé (certaines scènes sont hilarantes). Mais Kitano
sait se renouveler, et fait ici quelques trouvailles techniques
magnifiques. Je citerai surtout le jeu avec la musique et les percussions,
à la fois étonnant, drôle et poétique, c'est simple, les bruitages
du film s'enchaînent et constituent une mélodie, comme une troupe
qui bâtit une maison (sons de masses, de scies etc…) , de paysans
qui travaillent la terre, ou encore de gamins qui jouent dans la
boue. Des scènes magiques qui aboutissent logiquement avec une scène
de claquettes finale féérique. Et parlons en justement de la fin,
complètement ahurissante, il s'agit tout simplement de ce que vous
n'auriez jamais imaginé, incroyable que Kitano ait été aussi loin
! ! ! Je ne vous dévoilerai rien bien entendu, mais cette fin surprenante
(mais qui ne l'est pas autant venant de Kitano) m'a renversé, et
fait mourir de rire. Il faut le voir pour le croire…

Au niveau des acteurs, ce que je tient à dire en premier lieu,
c'est que je suis profondément déçu de ne pas voir apparaître Susumu
Terajima, qui aurait fait un yakusa sublime, mais bon, on ne peut
pas tout avoir. Kitano joue bien son rôle, on n'a pas l'habitude
de le voir en héro, d'habitude il campe plutôt le rôle du raté.
Quoi qu'il en soit, Zatoichi est très convaincant, Kitano est définitivement
un excellent acteur. A côté, et je devrais plutôt dire en face de
lui, un monstre de charisme, sous le nom de Tadanobu Asano (Ichi
the Killer) a qui le rôle de rônin surpuissant colle à merveille.
Son personnage est très interessant, et bien exploité. Je pense
qu'il s'agit du meilleur personnage du film. Dans le camp des acteurs
fétiches de Kitano, on n'en recense que deux à l'appel, et c'est
dommage vu le talent qu'on la plupart. Enfin, sont présent Ittoru
Kishibe déjà vu dans le rôle d'un yakusa dans Violent cop et qui
reprend ici son rôle à merveille et Daike Yuko, déjà aperçu dans
Hana-Bi ou encore Kikujiro no natsu, elle joue ici un rôle important,
puisque c'est une des deux geishas que protège Zatoichi. Un bon
casting, mais j'espère que dans le prochain Kitano on retrouvera
Susumu Terajima, Ren Osugi, Kurodo Maki et les autres…
Traditionnel paragraphe sur la musique, j'ai ici un point important
à énoncer. La logique pousserai à penser que la musique est composée
par le désormais célèbre Joe Hisaishi, illustre artiste dont je
n'ai pas fini de vous parler. Et bien non, justement, sachez que
Hisaishi et Kitano sont en froid depuis Dolls où ils ont eu une
violence divergence d'opinion. Et voilà, un couple mythique qui
s'effondre ! La musique est ici composée par Keichi Suzuki. Que
ce soit clair, la musique n'est pas mauvaise, loin de là, il y a
un énorme travail notamment sur les percussions, les mélodies sont
bien trouvée etc… Seulement, on ne peut s'empêcher de penser à ce
qu'aurait pu être le film avec la musique de Hisaishi. Ce dernier
est tellement associé au style de Kitano qu'on ne peut plus imaginer
l'un sans l'autre. Et le style de Suzuki est très différent de celui
d'Hisaishi. Sentiment étrange au final, mélange de semi-satisfaction
saupoudré d'amertume.
Au final, Kitano signe un très bon film. Je n'irai pas jusqu'à
dire que c'est son meilleur, ni son moins bon. Zatoichi est résolument
différent. Kitano a su s'adapter à un nouveau genre (le chambara),
à un nouveau budget, mais n'a certainement pas perdu son talent.
Dans un genre dès plus classique, avec une histoire classique, Kitano
parvient tout de même à surprendre, et pousse le vice très loin.
Il est le alors maître d'un nouveau genre cinématographique : le
" block buster d'auteur ". Une réussite donc qui l'entraîne vers
une meilleure reconnaissance du public et grâce à laquelle il pourra
certainement mener à bien ses projets. Toutefois j'ai hâte de la
retrouver dans un petit film à petit budget.
AOSHI
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