
Joypad : Quels sentiments particuliers vouliez-vous retranscrire
dans la partition de Vagrant Story ?
Hitoshi Sakimoto : J'ai l'impression que l'idée forte du
scénario créé par Matsuno est avant tout une grande affection à
l'égard des créatures incomplètes que sont les êtres humains. Selon
moi, la musique orchestrale n'a pas son pareil pour exprimer des
émotions subtiles, ce qui est primordial pour des jeux comme Vagrant
Story. Elle est en outre bien connu du grand public et est très
modulable. Cette capacité d'adaptation de la musique d'orchestre
vient non seulement de la qualité de la partition jouée et de la
qualité du son, mais aussi de la richesse de l'interprétation.
J : Comment avez-vous procédé pour l'écriture de la bande
son de Vagrant Story ?
HS : Vagrant Story diffère des autres projets sur lesquels
j'ai pu travailler. J'ai pris part au projet du début jusqu'à la
fin, ce qui représente deux ans de travail. Les autres projets sur
lesquels j'avais travaillé, n'avaient pas duré plus de six mois.
Avant même de décider la marche à suivre, je m'entretiens aussi
longtemps que possible avec le réalisateur, jusqu'à ce que nous
dégagions une impression commune sur le jeu. Nous décidons ensuite
des différentes choses que le thème doit véhiculer et de l'axe que
la musique doit adopter. Etant donné que nous devions livrer au
joueur une image homogène du jeu, nous approfondissons tout dans
les moindres détails, y compris le scénario et les dessins. Lors
du processus de composition, les musiques sont attribuées à certaines
personnes en fonction de leurs compétences et de leurs penchants,
ceci tant que le réalisateur n'a aucune requête particulière.
J : Le jeu comporte différentes atmosphères musicales. Cela
a-t-il influencé votre manière de composer ?
HS : Je pense que la liberté d'action constitue l'atout
majeur dans un jeu. Si la bande son est en mesure d'accompagner
les actions du joueur, de s'adapter à l'évolution psychologique
des personnages, voire de guider le joueur dans ses choix ou ses
émotions, la qualité du jeu en est rehaussée, offrant au joueur
une expérience hors du commun. Je garde par ailleurs tout ça à l'esprit
lorsque je compose, ce qui me pousse à rendre la musique toujours
plus attractive. Je cherche actuellement à innover en utilisant
de nouveaux supports tout en m'imprégnant des travaux d'autres compositeurs.
J : Au fil des jeux, vous avez développé un style très personnel.
D'où proviennent vos inspirations ?
HS : Il va sans dire que je compose par amour de la musique.
Les émotions que m'ont procurées certaines musiques composées par
d'autres m'ont peu à peu poussé à écrire ma propre musique. De même
j'adore les jeux vidéo, et lorsque je compose j'aime à m'imaginer
à la place du joueur, absorbé par l'univers du jeu. S'immerger dans
l'atmosphère d'un jeu est un peu différent que de s'immerger dans
celle d'un film, et je pense que cette distinction se ressent dans
la musique que je compose.
J : Vos sons semblent à l'oreille bien moins synthétiques
que ceux de la plupart des jeux Playstation. Votre secret ?
HS : Quand j'utilise les sons de vrais instruments su mon
synthétiseur, je ne garde que les sons qui, selon moi, véhiculent
une émotion véritable. Ma façon de procéder est différente de ceux
qui cherchent à recréer l'impression de "live" au moyen d'un synthétiseur.
Je pense que les méthodes qui retranscrivent les sensations de la
façon la plus juste devraient être favorisées. Et ce, même si le
son qui en résulte est loin de celui produit par l'instrument original,
ou encore si l'expression ainsi créée ne peut être reproduite autrement
qu'avec un synthétiseur. C'est la raison pour laquelle, le musicien
et le synthétiseur auront deux partitions différentes pour un même
morceau. Je suis heureux que ma façon de procéder ait été jusqu'ici
qualifiée de proche de la performance " live ", mais la réalisation
en est du coup très complexe. Ma façon d'aborder la composition
musicale vient peut être de mes influences techno.
J : Quelle est l'œuvre qui vous a le plus apporté dans votre
carrière ?
HS : Je m'assigne de nouveaux objectifs à chaque fois que
je m'investis dans un nouveau projet, et je travaille dur afin de
les atteindre. Dans cette logique, mon dernier projet est certainement
le plus important et le plus mémorable. Mes influences ne sont pas,
comme on l'a dit, classiques mais techno. J'ai, en effet composer
à me familiariser aux théories d'orchestration et de composition
avec le projet Ogre Battle. C'est pourquoi Ogre Battle est, de ce
point de vue, le projet qui m'a le plus influencé. Je devais, au
départ, me conformer aux exigences du réalisateur et, au bout du
compte, ce fut un tournant majeur dans ma carrière musicale.
J : Comment envisagez-vous l'évolution des musiques de jeu
? Plus d'orchestral ?
HS : Ce serait tellement plus intéressant si nous pouvions
ajouter l'impression du live au jeu, et pas seulement une musique
orchestrale. Je souhaite personnellement que cela arrive bientôt.
J : Pensez-vous qu'un jour, les musiques de jeux auront
le même impact que les B.O. de films ?
HS : Je pense qu'à ce stade, les musiques de jeux vidéo
influencent de plus en plus l'industrie de la musique en Occident.
Certains artistes ont préalablement appartenu au circuit de production
musicale des jeux vidéo. Bien entendu , les choses vont aller de
plus en plus dans cette direction. J'aimerais personnellement que
plus de gens soient aussi émus que moi lorsque encore adolescent,
je jouais aux jeux vidéo et écoutais de la musique de jeux vidéo.
J'espère que plus d'artistes issus de l'industrie cinématographique
ou de la variété ou encore de la mode deviennent des acteurs de
l'industrie de logiciels de loisir. Une interpénétration des différentes
industries est à long terme inévitable.
- Propos recueillis par Joypad -
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