
C'était
un jour de mai 2000 (le 19 pour être exact) et il se tenait là devant
moi, dans la vitrine import du magasin de jeux vidéo de ma ville.
Dire que je ne savais toujours pas si je devais l'acheter ou non,
peu enthousiasmé que j'étais par les quelques previews que j'avais
pu lire ça et là, et ce, malgré tout le bien que ces articles en
disaient. Je redoutais tout particulièrement le choix de la 3d -cette
tueuse d'ambiance- et les combats qui semblaient fortement s'inspirer
de Parasite Eve.
Je me revois encore, hésitant à aller au distributeur le plus proche
retirer les modiques 400 francs (399 pour rester dans l'exactitude
la plus totale) nécessaires pour son acquisition. Finalement, poussé
par les recommandations d'un ami, et surtout par le fait que je
venais de passer une période rôliste plutôt aride, je me décidais
à délester mon compte en banque de quelques billets, mais sans aucune
excitation particulière, qui précède toujours l'achat d'un jeu attendu
de longue date. Au contraire, je me souviens même avoir dit au vendeur
"que j'espérais seulement qu'il réussisse à me faire patienter jusqu'à
la sortie Us de Legend of Dragoon" […] bref…
Un quart d'heure après, de retour chez moi, je débliste le tout
et intervient alors mon premier contact avec le jeu : l'inspection
générale du packaging… rien à dire, comme à l'accoutumé avec Square,
c'est superbe. Couleurs chaudes, illustrations sublimes, Cds sobres
(et oui il y a une démo offerte avec la version Us), je me dis qu'au
moins j'aurai pas tout perdu et que j'aurai une boite magnifique
sur mon étagère... Après un rapide feuilletage du livret (en noir
et blanc malheureusement), je me décide enfin à partir en voyage
dans l'intimité de Matsuno, dans ce jeu qui m'est jusqu'alors apparu
si peu attirant : Vagrant Story.

Un certain sens de l'accueil
Cela fait désormais une bonne minute que le Cd tourne dans la boite
rectangulaire grise qui me sert quotidiennement de Playstation et
l'accueil que m'a réservé Matsuno fut à la fois chaleureux et, paradoxalement,
plein de retenu. Une scène cinématique en image de synthèse de trente
cinq, courtes mais plus que jamais intenses, secondes d'une qualité
technique et de mise en scène époustouflantes. Trente cinq secondes
nous dévoilant en alternance le combat opposant un gladiateur à
un imposant dragon et les déhanchements rythmés, au milieu de flammes,
d'une danseuse au cors parfait et semblant débarquer tout droit
du moyen orient. Trente cinq secondes de bonheur mais surtout trente
cinq, uniques, secondes d'image de synthèse dans le jeu… (mais ça
je ne le sais pas encore…) L'image est maintenant figé sur l'écran
titre, le jeu attendant de ma part le signal qui le ferait m'introduire
dans son univers. Mais désormais habitué des jeux Square je préfère
attendre le traditionnel "trailer" qui intervient lorsqu'on reste
inactif sur l'écran titre.
Justement le voilà qui arrive… tiens… aucune image du jeu en lui
même n'est dévoilée… en lieu et place un prologue à l'aventure explicitant
la situation et le décor du début de jeu, et mettant en relation
avec quelques personnages important du jeu, dont le héros, un certain
Ashley Riot. Première constatation en tout cas, la 3d utilisée,
qui était une de mes principales sources de réfraction, rend à l'écran
un résultat splendide, bien loin de l'impression de pixellisation
que m'avaient laissés les screenshots entrevus auparavant. A la
vue de cette technicité et aussi de l'apparente solidité du synopsis
dévoilé lors de cette première scène du jeu, ma peur laisse finalement
une petite place à un sentiment d'excitation palpable. Je me décide
enfin à débuter une nouvelle partie…
Interviennent alors trente minutes de bonheur absolu, qui effacent
presque d'un seul coup toutes mes appréhensions initiales. Assurément
les trente minutes vidéoludiques les plus courtes de ma vie. Une
demi-heure d'un spectacle formidable ou les scènes cultes s'enchaînent
une à une, formant au final un prologue intéractif anthologique,
jouissant d'une qualité graphique exemplaire au service d'une mise
en scène purement et simplement parfaite.
Un prologue tellement riche et dense qu'après coup tout me semble
brouillé : les différentes scènes se rejouent pêle-mêle dans mon
esprit encore sous le choc. Que dois-je finalement retenir de ces
premières minutes de jeu ? Que je suis subjugué par la classe de
Sydney Losstarot ? Non certainement pas, c'est un facteur un peu
trop subjectif … plus sûr que ce soit la rencontre monumentale entre
notre héros, Ashley Riot, et ce même Sydney ? sans doute… A moins
que j'ai simplement à me souvenir de cette citation, harmonieusement
distillée au milieu de toutes ces séquences, dont je me rappelle
vaguement les prémices…
"The body is but a vessel for the soul, a puppet
which bends to the soul tyranny."
Certainement un peu des deux en fin de compte… Une chose est néanmoins
sûre : Ashley est entré de plein pied dans Leà Monde et c'est désormais
à moi de le diriger dans les dédales, principalement sous-terrains,
de la ville abandonnée. L'aventure peut enfin commencer…

Un synopsis en béton pour une
histoire démentielle
Vagrant Story met le joueur aux commandes d'Ashley Riot. Il fait
partie des Valendian Knight of the Peace, section de la Ligue entièrement
composée d'agent secret, et plus particulièrement de la milice la
plus violente de cette section : les Riskbreaker. Ashley a pour
mission d'infiltrer le manoir du duc Bardorba assaillie par une
secte, le Müllenkamp et son leader, Sydney Losstarot. Après une
rencontre des plus explosives entre les deux hommes, le chef du
Müllenkamp se réfugiera dans Leà Monde, la cité du mal avant que
le Riskbreaker à la coiffure surnaturelle le rejoigne quelques minutes
plus tard. A partir de ce moment là un jeu de piste passionnant
et intriguant, instauré par Sydney, va petit à petit se mettre en
place entre les deux hommes. Ce sera ensuite au tour de Romeo Guildenstern,
un croisé, et ses troupes, toutes au service de l'Eglise qui, étrangement
semble avoir ses propres intérêts dans l'affaire, d'y pénétrer et
de troubler ce petit jeu…

Ces quelques lignes ne sont bien sûr que le résumé des premières
minutes de jeu. Bien entendu je ne dévoilerai rien de la suite,
mais soyez-en sûr elle se classe aisément parmi les meilleurs histoires
créées à ce jour. C'est en tout cas la première fois que je me prends
réellement de passion pour le scénario d'un jeu. Je vous invite
à lire la suite pour en connaître les raisons…
Une inspiration Shakespearienne
évidente
Les noms de certains protagonistes ne trompent pas et sont la
preuve que Matsuno rend, avec Vagrant Story une sorte d'hommage
à Shakespeare et ses œuvres. Ne serait-ce que Roméo dont la filiation
avec Roméo & Juliette est évidente mais aussi Guildenstern et Rosencrantz,
personnages apparaissant dans Hamlet une des ses pièces les plus
reconnues.

Mais outre ces références "évidentes", le plus bel hommage rendu
au célèbre écrivain, par Vagrant Story, reste sans conteste l'approche
et le dévoilement de l'intrigue. La façon dont les personnages s'expriment
et leur attitude dans les cut-scènes se rapprochent immanquablement
des grandes tirades auxquelles on peut assister dans une salle de
théâtre. En effet, à la manière des œuvres de Shakespeare aucune
des discussions entre les protagonistes n'est laissé au hasard et
chacune, ou presque, de leurs répliques et de leurs actions portent
à réflexion. Chaque apparition des "acteurs" est parfaitement pensée
et possède une signification, parfois laissée à l'interprétation
de chacun.

Dans un autre registre que celle, orientée cinématographique, de
Metal Gear Solid, la mise en scène, beaucoup plus théâtral de Vagrant
Story atteint de la même manière que le bébé de Kojima les sommets
de l'ingéniosité.
Leà Monde, cité mystique
Que serait une pièce sans un décor parfaitement approprié, permettant
aux acteurs d'évoluer à leur aise ? Pas grand chose certainement…
Si Roméo et Juliette vivent leur impossible amour dans l'idyllique
ville de Vérone, les acteurs virtuels de Vagrant Story, croqués
par le génial Akihiko Yoshida, ont quant à eux le "privilège" de
réciter leur texte dans les dédales de Leà Monde, l'abandonnée.
Passer une trentaine d'heures dans l'enceinte d'une même ville peut
paraître de prime abord assez rébarbatif et lassant. Mais c'est
sans compter avec le talent Matsuno et ses hommes, qui ont fourni
un travail titanesque et minutieux afin de créer un univers cohérent
et varié (du moins plus que ce que les détracteurs veulent affirmer).
Pour ce faire les équipes de développement sont venus jusqu'en France,
à Saint-Emilion, une ville près de Bordeaux, aux monuments moyenâgeux,
afin d'y étudier la structure et le grain des roches qui les composent.
Résulte de ces observations un sentiment d'immersion total dans
la cité médiévale. Tellement que les passages sous-terrain (relativement
long et fréquent) en deviennent presque étouffant de réalisme.
Et lorsque le tout est harmonisé par une bande-sonore aussi impressionnante
(j'y viens) que celle présentée ici, cela en devient carrément jouissif.
Un compositeur bénit des Dieux
Justement parlons de ces dites compositions. Je ne m'attarderai
pas sur le compositeur, Hitoshi Sakimoto vous le connaissez toutes
et tous (sinon allez jeter un œil à sa biographie quelque part sur
ce même site), vous savez d'ores et déjà qu'il est mon préféré en
la matière, je préfère donc m'attarder plus sur son travail, son
œuvre.

La bande-son de Vagrant Story est une perle, revisitant tous les
thèmes que l'on peut évoquer à travers des compositions musicales
de Rpg et ainsi faisant passer toutes les émotions humaines possibles
et inimaginable (pas facile à écrire au clavier ça…). Parfois épiques,
donnant le " boost " nécessaire pour occire les boss (plutôt impressionnants)
qui tenteront de barrer le chemin d'Ashley, le plus souvent à l'état
de nappes sonores stressantes enrobées d'une touche mystérieuse
bien sentie, accompagnant l'avancée du Risbreaker dans les dédales
de la ville, elles savent également se faire plus lyriques et mélodieuses
pour accompagner les moments graves et émouvants de l'aventure.
Quelque soit leur nature, les compositions de sieur Sakimoto sont
toujours parfaitement adaptées à la situation et forment au final
un ensemble harmonique que je qualifierai de parfait.
Un gameplay riche et profond
Après l'appréhension du passage à la 3d, effacée par toutes ces
cut-scènes fantastiques, il ne restait plus qu'à diluer ma crainte
initiale de me retrouver face à un système de combats hasardeux
qui casserait, à la manière de celui de Parasite Eve, le rythme
du jeu…
Mais comme vous vous en doutez, après quelques heures de jeu, les
joutes de Vagrant Story m'ont charmé, et ce, grâce à un habile mélange
d'A-Rpg et de Rpg plus classique.

Le côte A-Rpg se retrouve dans le fait que Ashley voit ses ennemis,
les combat, sans chargement, directement à l'endroit où il se trouve
et possède une liberté de mouvement totale durant ces phases. Le
côté Rpg, lui, vient notamment de la sphère en wireframe qui apparaît
autour d'Ashley lorsque celui-ci est sur le point d'attaquer un
ennemi, et qui donne aux combats une sorte de semi temps réel des
plus appréciables. Mais l'intérêt de cette sphère est qu'elle donne
la possibilité à Ashley de frapper n'importe quelle partie de son
ennemi -se trouvant dans la dite sphère- qu'il souhaite.

Le deuxième point sur lequel le système se rapproche du Rpg classique
est la multitude de paramètres entrant en compte. Ainsi pour définir
les dégâts d'une arme sur un ennemi, en plus des traditionnels facteurs
de puissances et de défenses, interviennent la classe de l'ennemi
(Humain, Fantôme, Schtroumf etc…), son affinité élémentaire (air,
terre…), le type de l'arme utilisée et la barre de Risk (dont je
ne traiterai pas ici ça serait beaucoup trop long)… bref pas mal
de trucs bien lourds à énoncer dans une review…
Je ne serai pas complet si j'oubliais de vous parler de la panoplie
d'action d'Ashley. Ainsi il possède des capacités d'attaque (permettant
d'enchaîner ses coups) et de défense (permettant de… se défendre,
oui bravo) qui sortent si l'on appuie sur les bonnes touches au
bon moment, rendant ainsi l'action trépidante. Il pourra également
lancer des magies, sortir des spéciales (intitulées Break Art),
bref pas mal de trucs impossibles à faire dans la vraie vie malheureusement…
Ajoutons à cela la possibilité, de forger son équipement -système
relativement complexe et austère au début mais véritablement passionnant
si on prend la peine de s'y mettre- et je pense dire sans me tromper
que le gameplay de Vagrant Story jouit d'une profondeur jamais égalé.
Soyez en sûr, et ce malgré que les lignes précédentes ne le mettent
(malheureusement) guère en valeur, c'est assurément un des éléments,
parmi tant d'autre, qui a contribué à me faire aimer ce jeu…

Bon allez je vais essayer de vous réveiller quelque peu avec la
conclusion (pas facile après ces gros pavés bien soporifiques…).
Une expérience personnelle, presque
intime…
Contrairement aux autres reviews dans cette conclusion je ne vous
dirai pas " Vagrant Story est une bombe (ou une daube)" puisque
ce jeu a ceci de particulier : on adore ou on déteste, mais il n'y
a pas de juste milieu. Vous comprendrez donc pourquoi j'ai choisi
de rédiger cet article, en grande partie, à la première personne.
En effet l'œuvre de Matsuno demeure une expérience très personnelle,
aussi bien dans sa conception que dans l'appréciation, bonne ou
mauvaise, que chacun s'en fait… Personnellement j'adore mais il
est préférable de se forger sa propre opinion sur le sujet, car
pour reprendre la tournure d'une expression bien connue : " universel
n'est (définitivement) pas Valendian "…
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